Le 12 octobre dernier débutait au théâtre de Quat'Sous � quelle heure on est mort?, un collage de Martin Faucher tiré de textes de Réjean Ducharme. Avec des extraits des iconiques oeuvres L'avalée des avalées, Le Nez qui voque, L'Hiver de force et L'Océantume du mystérieux auteur québécois, ce rendez-vous théâtral onirique agit comme une bulle de rêve pendant un instant qui fait apaise nos maux.
Pendant cette heure de théâtre, on suit les périples et réflexions de Châteaugué et Mille Milles, interprétés par Bozidar Krcevinac et Marie-Madeleine Sarr. Ce sont deux jeunes adolescents en quête de sens dans un monde où les thématiques de l'enfance, la mort, le confinement et la révolte – typiques à l'univers de Ducharme – résonnent étrangement avec les défis actuels que la pandémie nous apporte.
Une temporalité déconstruite
Dans une mise en scène de Frédéric Dubois, � quelle heure on est mort? explore la notion du temps de manière profonde et ingénieuse. Au printemps 2020, les acteurs Gilles Renaud et Louise Turcot devaient jouer la pièce � quelle heure on meurt?, le collage de base des textes de Réjean Ducharme. Avec l'arrivée de la pandémie, les répétitions ont dû être abruptement interrompues, et cette partie du processus de création est mise en relief tout au long de la pièce. � quelle heure on est mort?, c'est un peu comme les vestiges de ce spectacle qui n'a jamais eu lieu.
D'ailleurs, cette notion de ruine, de vestige est très bien représentée dans tous les aspects du spectacle, en faisant de la ruine la signature centrale de l’Å?uvre. Le décor est une savante déconstruction d'un appartement; c'est un peu chaotique, mais on y trouve un certain réconfort là -dedans. La narrativité est également non linéaire, ce qui peut être un peu confondant. Cependant, quand on accepte cette convention de temporalité décalée dans le texte, on se laisse porter par l'onirisme des mots de Ducharme qui sont interprétés avec justesse par les acteurs. On se laisse d'ailleurs emporter dans leur délire avec leur jeu naïf et vrai.
Ce qui est intéressant aussi de cette pièce, ce sont toutes les couches de temps et du processus de création nécessaires à la pièce depuis ses débuts. Les commentaires audio lors des répétitions avec Gilles Renaud et Louise Turcot (qui devait originalement jouer la pièce) sont superposés avec la présente pièce jouée par les deux jeunes acteurs. Cela met bien en relief le temps qui a passé, mais également la pandémie qui a mis une pause au processus. On sent également que cette notion de temps et de distance affecte encore notre réalité. � part à la fin, jamais dans la pièce les acteurs ne se touchent et c'est de cette façon qu'on comprend à quel point Ducharme reste encore cruellement actuel. L'auteur s'étant lui-même mis en confinement toute sa vie, cette thématique nous est cruellement mise au visage avec le jeu des acteurs qui vient nous chercher de par leur sincérité.
Une résonance étrangement ébranlante
Les nombreux textes de Ducharme trouvent encore un écho aujourd'hui, d’où la nécessité de jouer ses textes encore et encore. Sa poésie traverse les époques et apporte un réconfort nécessaire dans notre époque de réalisme parfois trop stoïque. De plus, le fait que la pièce qui devait être originalement jouée par des légendes du théâtre québécois soit interprétée par deux jeunes acteurs agit comme un passage de flambeau, une temporalité qui transcende les années et rend les thèmes ducharmien encore criants d'actualité.Â
Dans � quelle heure on est mort?, on sent une certaine volonté de tout arrêter, de mettre fin à sa vie, tout en ressentant une urgence de retourner à l'enfance. Cette mise en relief du sublime et du grotesque fait réaliser au spectateur que malgré les moments difficiles et chaotiques que la pandémie nous a fait vivre, nous sommes responsables de trouver le bonheur dans les petites choses.
Bref, Ã? quelle heure on est mort? agit comme un véritable baume pour l’âme qui nous transporte dans un univers onirique et poétique qui nous fait réaliser le beauté et la laideur de la vie.
Ã? quelle heure on est mort?
Théâtre de Quat’Sous